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Faut-Il Limiter Les Désirs ?

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Juan qui doit multiplier les conquêtes pour ne pas ressentir le vide de la jouissance ( la jouissance sexuelle est appelée parfois " la petite mort " ) jusqu'à rencontrer le gouffre de la Mort, de la vraie, que son nihilisme appelle ; ou celui, plus vulgaire, des sociétés de consommation, qui doivent sans cesse renouveler l'offre et sont en définitive des sociétés du déchet.

C'est pourquoi la sagesse antique consiste le plus souvent à réduire le désir pour y trouver la source du bonheur. Ainsi, le philosophe Epicure propose un hédonisme paradoxal : ce n'est pas en multipliant les désirs que l'on trouvera le plaisir, mais au contraire en le limitant. Trouvera la satisfaction, et en particulier ce plaisir suprême qu'est la quiétude de l'âme, l'ataraxie, celui qui aura su réduire ses désirs à ce qui est naturel, simple ; le plaisir ne se trouve pas dans la quantité, mais dans la qualité. Apprenons à jouir de la vie, dans ses formes les plus humbles, et nous serons heureux. De manière encore plus radicale, le stoïcisme propose de réduire le désir à ce qui dépend de nous, voire à le supprimer. " Supporte et abstiens-toi ". Il faut accepter ce qui nous arrive et limiter nos désirs à ce qui est à notre portée. En contenant le désir, je me donne la possibilité de la satisfaction et ne me fais dépendre ni des choses ni des autres. Apprenons à moins désirer pour mieux aimer ce qui est entre nos mains. Carpe diem, dit le poète stoïcien Horace, profite de l'instant. Et, plus radicalement, Epictète donnera ce conseil d'acceptation totale : " Ne souhaite pas que les choses arrivent comme tu le désires, mais désire qu'elles arrivent comme elles sont ; et tu seras heureux. "

Le désir est au contraire un tourment : comment ne pas penser à l'objet qui nous manque ? Le désir est donc une absence qui nous fait souffrir et nous obsède : l'objet du désir est d'autant plus là que nous l'avons pas. De là son lien avec l'imagination que la pensée classique, qui voit en cette dernière la " folle du logis ", et Descartes en particulier, ont analysé. Plus je désire un objet et plus l'imagination en accroît la valeur ; et plus j'exagère sa valeur et plus je le désire. Le désir ne se contente pas de nous tromper ; il nous enferme dans un monde d'illusion, d'autant plus dangereuses qu'elles sont désirées. Cette obsession n'est donc pas une ouverture de l'esprit : le désir restreint le champ de conscience à l'objet désiré en nous empêchant de voir les autres possibilités de la vie. Ne peuvent alors venir que " regrets, dédains et repentirs " ( lettre à Mme Elisabeth ).

le désir manque ainsi de justesse : il fantasme le réel. Mais il manque aussi de justice. D'une part, il est mimétique : il désire le désir d'autrui. La chose est aimée que parce que l'autre la désire : alors, soit je possède l'objet, et je me sens valorisé parce qu'autrui ne la possède pas ; ou bien, je ne le possède pas alors que l'autre le possède, et je suis jaloux et envieux. Dans les deux cas, le désir me met dans la concurrence avec autrui, et me fait avoir des " passions tristes ", pour parler comme Spinoza, c'est-à-dire mesquines, marquant une dimension d'être. Pire encore, le désir, lorsqu'il est désir d'un autre, introduit une relation d'esclavage : en voulant posséder autrui, je veux en être le maître, pour qu'il réponde et corresponde à mon désir, et en même temps, je m'en fais l'esclave, soumettant mon existence à son caprice. Quant aux autres personnes, elles ne sont vues que par rapport à mon propre désir, comme obstacles ou comme moyens. Le désir doit donc être limité par la justice et le respect que l'on doit aux autres, c'est-à-dire la reconnaissance de leur valeur propre, indépendante de mon désir.

Ainsi, le désir semble-t-il être ce qu'il faut tenir par la bride pour ne pas être malheureux et injuste. Cela signifie-t-il que la modération puisse seule nous apporter le bonheur ? N'est-ce pas avoir de la vie une conception bien terne ?

II- Accroître le désir :

" Malheur à qui n'a rien à désirer " rappelle Rousseau. En effet, un individu sans désir est un être sans appétit, sans le goût, la faim de la vie. C'est pourquoi " le désir est l'essence de l'homme " selon Spinoza : il se rattache en effet au contais, c'est-à-dire à l'effort pour persévérer dans l'être, à la puissance d'être. C'est le désir qui donne son élan vital et son dynamisme à l'individu. Par là, il donne de la valeur aux objets désirés. On ne fait bien que ce que l'on désire : le désir donne le prix aux choses. En ce sens, " nous ne désirons pas les choses parce qu'elles sont bonnes, nous les déclarons bonnes parce que nous les désirons ". C'est le désir qui pare l'objet aimé des plus beaux attributs, et en fait goûter tout le charme.

Le désir est ce qui fait la sensibilité de l'individu. D'une part, il montre que nous ne nous suffisons pas. Le désir nous ouvre aux choses et aux autres. Il montre combien nous pouvons être touchés par le monde. Il est passion et exprime notre humanité. C'est l'insensibilité, la dureté d'un être enfermé en lui-même qui est signe de barbarie, d'inhumanité. Ainsi sensible au monde qui le touche, le désir est le signe de l'âme passionné, capable de grandes choses (" rien de grand ne se fait sans passion ", dit Hegel : l'histoire est celle des grands hommes, ceux qui sont animés des grandes passions de gloire, d'amour, de pouvoir ). C'est pourquoi le romantisme fera du coeur et du tourment passionnel la marque de la grande âme, par opposition au calcul mesquin et aux petits intérêts.

D'ailleurs, toute volonté de limiter le désir manque ce qui fait la valeur de l'homme. Que l'on prenne la mesure du désir chez Epicure. Il faut certes lui reconnaître une certaine grandeur, car, en le limitant, Epicure veut le faire échapper à la vulgarité de la boulimie et de la consommation. Mais cela suffit-il à reconnaître la valeur du désir ? Epicure propose en effet de limiter celui-ci à ce qui est naturel et nécessaire. Or n'est-ce pas exactement l'inverse qui fait du désir un désir vraiment humain. Le désir peut-il se limiter à ce qui est naturel ? Le propre du désir n'est-il pas d'être social, défini par son contexte technique et culturel : n'est-il pas légitime aujourd'hui de désirer voyager en quelques heures à des milliers de kilomètres, si un moyen comme l'avion le permet ? N'est-il pas légitime d'avoir des enfants quand on le désire et non en fonction de la nature ? Plus encore, le véritable désir ne porte-il-pas sur ce qui échappe à la nécessité : le superflu ou le luxe ? " Un rien de trop pour être " fait dire Shakespeare au Roi Lear : ce qui nous fait être, c'est ce léger trop, ce surplus inutile, qui fait que l'existence n'est pas seulement biologique et devient humaine. L'homme n'est vraiment humain que par l'incessant renouveau du désir, plus que par sa limitation.

Le désir est à la fois ce qui nous rend malheureux et ce qui donne son prix à la vie. Faut-il donc opposer les deux et choisir entre une vie dense mais malheureuse, et une vie sereine mais sans saveur.

III- Non pas désirer moins, mais désirer mieux :

Il y a effectivement un risque du désir à vouloir sans cesse plus et autre chose. Le désir

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