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2ème chambre civile de la Cour de cassation, 24 février 2005

TD : 2ème chambre civile de la Cour de cassation, 24 février 2005. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  26 Février 2022  •  TD  •  3 630 Mots (15 Pages)  •  683 Vues

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Séance 3

Selon Philippe Letourneau, le lien de causalité exprime le fait que « le droit appréhende le réel pour parvenir au juste ».

Le 24 février 2005, l’arrêt rendu par la Cour de cassation concerne la notion de lien de causalité.

En 1974, un individu s’est retrouvé victime d’un grave accident de la circulation. La personne responsable de l'accident de voiture est assurée par la compagnie Azur Assurance. Après la consolidation, la victime est restée handicapée de sorte que ses enfants, nés après l'accident, n'ont jamais pu établir des relations ludiques et affectives « normales » avec leur père, dont ils vivaient la souffrance au quotidien en raison de son handicap.

Par la suite, les enfants majeurs et leur mère, en tant que tutrice légale de leur fille mineure, ont assigné l'assureur de la partie responsable en réparation de leur préjudice moral.

Le 21 novembre 2001, la cour d’appel de Riom a condamné l’assureur à indemniser le préjudice moral subi par les enfants de la victime qui a développé un handicap à la suite de l’accident de voiture au motif que le handicap empêche les enfants de partager les joies normales de la vie quotidienne avec leur père.

Les enfants ni nés ni conçus au moment du dommage subi par leur parent peuvent-ils obtenir une indemnisation pour le préjudice moral qui en résulterait ?

Le 24 février 2005, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l'article 1382 de l'ancien Code civil, a cassé l'arrêt de la Cour d'appel. En effet, elle a rejeté la demande des enfants de la victime de l'accident de la route car le juge a considéré qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre l'accident et le préjudice moral des requérants. Elle a renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Lyon.

Il semble y avoir une fragilité dans l'étude du lien de causalité qui est limitée notamment en raison d'une mauvaise détermination du préjudice moral par la Cour d'Appel (I). De plus, la Cour de cassation applique une théorie doctrinale qui substitue la théorie de l’équivalence (II).

I)  L’apparition d’une fragilité à l’égard de la limitation dans la détermination du lien de causalité

Nous étudierons le lien de causalité (A) et nous constaterons une fragilité dans l’étude du préjudice mis en avant par la Cour d’appel. (B)

A)     Etude du lien de causalité

Philippe Brun affirme que les décisions relatives au lien de causalité montrent « la difficulté à saisir cette condition fuyante de la responsabilité civile ». Selon l’auteur, l’arrêt à l’étude est « symptomatique » des difficultés que le lien de causalité ne cesse de poser. Dans l’arrêt à commenter, le juge de cassation a choisi d’utiliser la notion du lien de causalité dans sa solution.

Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que pour engager la responsabilité civile il faut, tout d’abord, un fait générateur de responsabilité qui peut se caractériser par une faute. Dans l’arrêt à commenter, le fait générateur est la faute causée par l’homme qui a causé l’accident de voiture causant un handicap à la victime directe de l’accident.

Ensuite, il faut prouver un préjudice.  Le préjudice est défini comme un intérêt juridiquement protégé. Philippe Brun définit le préjudice comme étant « toute lésion d'un intérêt patrimonial ou extrapatrimonial subie par une personne, et qui peut consister en une perte ou un manque à gagner ». Le 16 avril 1996, la Cour de cassation a énoncé trois critères qui caractérisent le préjudice. En effet, il doit être personnel, direct et certain. En effet, le dommage est direct lorsque la victime subit directement le dommage. En l’espèce, la victime directe est la personne atteinte d’un handicap à la suite d’un accident de la circulation dont elle est victime. Dans l'autre cas, la victime est médiate lorsque le dommage est réfléchi. Ainsi, la victime est directement liée à la personne qui a subi le dommage car elle est le reflet et la conséquence de la victime directe. Traditionnellement, la victime par ricochet est définie comme la personne qui subit un préjudice à la suite du dommage initial (un dommage qui ne l'affecte pas personnellement mais dont il subira certaines conséquences) subi directement par la victime immédiate. Cette dernière est donc affectée par ricochet. Selon le référentiel intercours, la victime indirecte serait « celle qui est proche de la victime blessée ». Dans les faits, les enfants de la victime directe, né et conçus postérieurement à l’accident, se considèrent être des victimes par ricochet de l’accident car ils mettent en avant le fait qu’ils ne peuvent donc pas établir « des relations ludiques et affectives normales avec leur père dont ils vivaient au quotidien la souffrance du fait de son handicap ». Ainsi, le dommage est personnel car l'événement se produit dans la chair ou dans les biens de la personne victime de la faute, ainsi que toutes les cascades subies par une personne. L’accident est aussi un fait certain et non hypothétique.  Dans d'autres décisions, la Cour de cassation a ajouté la licéité du préjudice. Ainsi, le code de procédure civile ajoute un dernier critère de forme. En effet, l'article 31 du code de procédure civile affirme que la victime doit être légitime pour agir en justice. Le préjudice est licite lorsque l'intérêt lésé auquel il se rapporte est également autorisé. En somme, la victime doit avoir une situation licite pour pouvoir agir. En l’espèce, la victime directe et ces enfants ont, en présumé, une situation licite car elles n’ont pas commis de faute. Le caractère légitime est le fait d'avoir la capacité de demander l'indemnisation. Dans l’arrêt à commenter cette question se pose concernant la demande d’indemnisation du préjudice moral des enfants de la victime directe. En effet, ces derniers n’étaient pas ni nés ni conçus au moment de l’accident qui a causé un handicap à la victime.

 Enfin, il faut prouver un lien de causalité entre ces deux notions. Le droit français ne donne pas de définition sur le lien de causalité.  Nous pouvons tout de même constater que le lien de causalité à effet entre un fait générateur de responsabilité et le préjudice subi par la victime directe ou indirecte en lien avec le préjudice de la victime directe. Le lien de causalité doit être certain et direct. Philippe Letourneau précise qu'il doit l'être, quelle que soit l'analyse de la causalité utilisée. Cette notion imprécise donne donc une grande liberté d’appréciation par les juges. Par conséquent, le lien de causalité implique pour la victime de prouver que le dommage s’est produit à cause du fait générateur. Dans l'arrêt à l’étude, le juge a considéré que le lien de causalité entre l'accident de la victime directe et le préjudice moral des enfants nés après le dommage n'était pas effectif. Le lien n'a donc pas été considéré comme direct et certain. Ce lien de causalité est envisagé anciennement par l’article 1382 utilisé par la Cour de cassation dans l’arrêt à commenter. Aujourd’hui, les articles 1240 et suivant du code civil n’envisagent pas le lien de causalité. En revanche, le terme « causer » présent dans ces articles est relatif à la responsabilité civile. Un projet de 2017 et une proposition de réforme de 2020 ont énoncé qu’il faut un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage qui se prouve par tout moyen. Le lien de causalité est donc un fait juridique.

B)     Un préjudice moral contestable

Dans l’arrêt à commenter, les enfants ont demandé la réparation du préjudice moral, selon la Cour d'appel de Riom, au motif que ces derniers n'avaient pas pu partager les joies normales de la vie quotidienne avec leur père en raison de son handicap et de ses souffrances. Les règles de la responsabilité civile permettent d’indemniser un préjudice par ricochet. La nomenclature du rapport Dintilhac admet l’existence du préjudice moral qui comprend le préjudice d’accomplissement et d’affection. Dans l’arrêt étudié, les juges ont admis une distorsion temporelle. En effet, les requérants demandent une indemnisation pour réparer le préjudice moral effectué à cause de l’accident. Cependant, ils n’étaient pas nés et conçus à la date de l’accident et de la survenance du handicap de leur père. Par conséquent, il ne peut y avoir d'indemnisation pour un préjudice moral futur car il n'était pas certain au moment de l'accident que la victime aurait des enfants pour commencer. En outre, l'adage « infans conceptus » peut être appliqué car il reconnaît qu'il n'est pas possible de perdre ce qu'une personne n'a jamais été destinée à recevoir. L’auteur Patrice Jourdain affirme que le préjudice caractérisé par les requérants est plutôt le manque d'intérêt à vivre avec un père valide. Ce n’est donc pas un préjudice d’affection qui se caractérise comme étant la réparation de la peine provoquée par le décès ou la déchéance physique ou mentale d’un être cher survenu plus ou moins brutalement. Dans ce cas, les enfants ont toujours connu leur père avec son handicap, il n'y a donc pas eu de changement dans l'état de leur père qui aurait pu les faire souffrir mentalement. Il n'y a donc pas eu non plus de dommage d'accompagnement entraînant une perturbation des conditions de vie de ceux qui partagent la vie de la victime. En effet, le nouveau principe d’accomplissement exprime la volonté de prendre en compte et d'indemniser le bouleversement causé dans les conditions de vie personnelle, familiale et sociale d'une victime indirecte qui partageait habituellement une communauté de vie active avec la victime directe. Dans ce cas de figure, les proches de la victime directe ont vu leur existence quotidienne perturbée par le handicap et les souffrances qu'elle a enduré. En effet, le préjudice moral au sens de la nomenclature du rapport Dintilhac implique une douleur ou un traumatisme moral, un bouleversement des conditions de vie. Le préjudice résulte d'un changement de circonstances et postule une perte ou une détérioration par rapport à un état antérieur. En l’espèce, les demandeurs ne ressentent pas cette douleur à la suite de l'apparition soudaine du handicap d'un proche après un accident et leurs conditions de vie n'ont pas été bouleversées car elles ont toujours été similaires. Le préjudice moral ne peut donc pas être invoqué.

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