Steak machine : Geoffrey le Guilcher
Fiche de lecture : Steak machine : Geoffrey le Guilcher. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Mathilde Ferreira • 25 Octobre 2018 • Fiche de lecture • 7 734 Mots (31 Pages) • 574 Vues
STEAK MACHINE : Goeffrey Le Guilcher
Journaliste indépendant.
Introduction : « Je vis près du métro de LaChapelle, à Paris » « Et si tu te faisais embaucher dans un abattoir ? » (texto de son éditrice : mars 2016) « Depuis toujours, trente ans à mon échelle, mes parents m’ont transmis leur vision du « bon repas » : choisir un morceau de viande. Ensuite seulement, vient l’accompagnement. » « Les images de L214 lèvent depuis deux ans un tabou sur le milliard d’animaux tués chaque année en France. Elles ne disent rien des hommes en combinaisons tâchées de sang qui les pendent à des crochets. Qui sont-ils ? Combien d’entre eux commettent des violences ? Comment vivent-ils leur danse quotidienne avec la faucheuse ? Méritent-ils la haine publique ? »
Sujet : aller voir si ces usines à viande ont enfant des hommes-monstres.
« Impossible pour moi d’aller toquer à la porte et de m’annoncer journaliste. Le député divers gauche Olivier Falorni a prévenu : il est plus facile d’entrer dans un sous-marin nucléaire que dans un abattoir » (les abattoirs sont des lieux totalement clos et cachés. Pour les trouver physiquement, il n’y a jamais de pancarte, même le GPS ne trouve pas). « J’ai donc enlevé mes lunettes, mis des lentilles et tondu mes cheveux châtains. J’ai modifié mon identité, arrangé un CV imaginaire. Bref, je me suis inventé un passé pour me faire embaucher sans attirer l’attention. »
« Mentir sur une feuille de papier s’est avéré plus simple que tromper jour après jour des collègues/ Plus je me rapprochais de certains ouvriers, plus ma double identité me pesait. Et moins je mangeais des bouts d’animaux. De viandard, je suis devenu « flexitarien » (ou semi-végétarien / omnivore conscient) : végétarien à la maison, omnivore en société.
Bretagne : « région-abattoir » de la France, on y emploie 30% des salariés de la filière viande. Chaque année, chaque abattoir génère près d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires et abat deux millions d’animaux. A la journée, cela signifie la mise à mort de 600 bœufs et 8500 porcs aussitôt transformés en carcasses puis, dans la semaine, en barquettes. « J’ai atterri sur une chaine d’abattage dite « chaine bœuf » (y travaille pendant 40 jours). « Je tais le nom de mon usine afin de protéger l’identité des collègues rencontrés. Les prénoms ont été modifiés, de même que les lieux. C’est le seul moyen de raconter sans voile la vie à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine. J’ai pris le parti d’une immersion totale. Les mêmes jeux, la même viande, le même mauvais whisky, les mêmes drogues que les découpeurs de steak. » « J’ai rebaptisé mon abattoir Mercure, car il y fait chaud, on s’y bousille la santé et c’est une petite planète. Les habitants de Mercure ont un point commun : ils ont muté. Ils présentent une musculature hors norme au niveau des avant-bras, des poignets et des mains. Je les appelle les hommes-crabes : l’habitude d’opérer les mains crispées sept à huit heures ».
« Au fil de mon immersion, j’ai vu mes doigts se bloquer un peu plus chaque matin, jusqu’à une demi-heure après mon réveil. Le travail à la chaine est violent, incomparable ». « Chez Mercure, la direction a fait disparaitre la souffrance animale en la dissimulant derrière un mur. Entre ma première visite de l’abattoir (le 13 juin 2016) et mon embauche (le 18 juillet 2016), la zone qu’on appelle en interne « la tuerie » a été isolée du reste l’usine par une cloison, pour la soustraire au regard des visiteurs occasionnels et des intérimaires. C’est la réponde Mercure aux vidéos publiées par L214. Son moyen de cacher les mises à mort ratées d’environ un animal sur cinq. Les animaux se débattent, luttent et se réveillent parfois d’entre les morts, la gorge pourtant tranchée depuis de longues minutes. Ces revenants hantent les cauchemars des ouvriers. » « L’habitude n’est pas ici synonyme d’insensibilité mais plutôt d’adaptation au dieu fou de l’abattoir : la cadence. Une vache abattue chaque minute. Ce rythme absurde entraine la maltraitance animale. Et humaine, les deux sont indissociables. »
« Chez Mercure, les chefs ne tolèrent pas les arrêts maladie trop fréquents et contestent le moindre accident de travail. Peu d’ouvriers franchissent la cinquantaine en bonne santé. »
Chapitre 1 : Un trou dans le crâne de Marguerite : « Vais-je réussir l’entretien d’embauche ? Ou vomir et rentrer à Paris ? Le dernier jour où j’avale de la viande est-il arrivé ? » Mercure : « le monstre respire ». « J’ai dû tricher sur mon identité. Je ne voulais pas que mon recruteur découvre mes travaux de journaliste en fouillant sur Internet. J’ai donc donné à l’agence d’intérim mon second prénom : Albert ». « Mon père est éleveur de moutons » « Ils aiment bien car ça veut dire que tu ne crains pas le sang » « Un jour, une agence d’intérim avait surligné cette information sur son CV en ajoutant un « + » dans la marge ». Cette partie du CV, en apparence anodine, constitue peut-être ma clef d’entrée ici. Ce conseil, ce sont les grands maitres de l’infiltration en abattoirs qui me l’ont soufflé. Un mois plus tôt, j’ai rencontré les deux personnes qui ont déclaré la guerre à la filière française de la viande. En deux ans, avec une vingtaine de vidéos montrant des mises à mort violentes d’animaux, ils ont fait fermer temporairement – ou définitivement – plusieurs chaines, récolté deux millions d’euros de dons en 2016 et déclenché une commission d’enquête parlementaire sur les abattoirs français. » Sébastien Arsac avec sa compagne Brigitte Gothière ont fondé l’association L214.
Chef Didier : vous n’avez pas la peur de sang ? Vous n’avez pas de problèmes particuliers ? Est-ce que vous avez le vertige (travaille sur des podiums qui montent à deux, voire trois mètres »
« Après mes carottes râpées, la serveuse me sert l’unique plat du jour : une bavette. Je la goute sans entrain. Ce ne sont pas les images de sang qui me bloquent. C’est l’odeur grasse de l’abattoir.
Boite d’intérim Lingettes (modifié) : « C’est elle qui recrute une partie de la main d’œuvre et elle ne connait rien de l’abattoir. Ou plutôt, comme nous tous, elle ne veut pas le connaitre ».
Spécisme : fait de considérer l’homme comme un animal supérieur à tous les autres
Chapitre 2 : « Fais de grands gestes avec ton couteau »
« Six jours après la visite de la chaine bœuf, une employée de l’agence d’intérim Lingettes m’appelle sur mon portable : C’est bon ils vous prennent ! » J’étouffe un cri de joie. Ils m’ont même dit que si vous vouliez commencer avant le 18 juillet, ça les intéressait » (contrat jusqu’au 5 aout, « j’aurai trois semaines pour faire mes preuves, devenir un ouvrier modèle, le type dont on ne se méfie pas ».
« Des confrères journalistes m’ont conseillé d’être suivi par un psy ; une amie m’a affirmé que les ouvriers d’abattoirs faisaient d’horribles cauchemars ; quant aux études disponibles sur le sujet, toutes insistent sur l’extrême fréquence des accidents de travail. D’ailleurs le seul membre de ma famille à avoir travaillé dans un abattoir – un oncle d’Orléans – y a laissé un doigt ».
« Surgit Margot, celle qui m’a fait visiter la chaine bœuf il y a un mois. « Salut, comment tu t’appelles ? » Je réponds au tac au tac : « Geoffrey. » - Ah bon ? Geoffrey ? Me dit-elle en matant ma fiche. Je sens mes joues rougir sous l’effet de ma bêtise. Euh pardon, Albert ! En fait, c’est la boite d’intérim qui a noté ça, mais je m’appelle Albert. » « Margot me fait descendre aux vestiaires avec Gwenaël. Elle m’attribue un casier avec une étiquette à mon nom puis me donne une cotte blanche – combinaison intégrale de travail – taille 5 et une charlotte bleue à enfiler sur la tête. La couleur indique que je vais occuper un poste « pour le long terme », comme le précisait l’annonce de Lingettes., la boite d’intérim. Les charlottes vertes, elles, sont pour les saisonniers. Margot me tend un tablier plastifié sur lequel elle inscrit au marqueur bleu : « Albert Le Guilcher, équipe A ».
« L’univers ultramasculin de l’abattoir commence au sommet de la pyramide. Le directeur de l’usine est un homme, les trois patrons de la chaine bœuf sont des hommes, les sous-chefs sont des hommes. Sur la chaine, la rareté des femmes fait qu’elles sont sans cesse courtisées « parfois de façon marrante, parfois de façon très lourde », m’a un jour résumé Sophie, ma jeune voisine de poste. » « Mon premier rêve avec un animal m’a surpris cette nuit. Je me demandais si j’allais voir des animaux morts une fois les paupières closes. Ce cochon-vache est le premier. » « Je croise Charles, il m’avertit qu’ici, contrairement aux autres boulots, c’est le vendredi qu’on travaille le plus « car les commandes doivent être livrées le lundi. » « Victoire, j’ai passé la semaine test. Il me reste le week-end pour m’en remettre. »
Chapitre 3 : « C’est pas Chicago ici, c’est la Bretagne »
« D’ailleurs, en parlant de bon plan, Kevin en a un super pour moi. Ca s’appelle « les dégustations ». « Note le numéro de téléphone que je vais te donner, je t’explique après. » Je m’exécute. Lundi, si j’appelle ce numéro de Mercure, on me fera goûter des rillettes, de la super viande, des saucisses… En gros, tous les produits Mercure – et ceux de concurrents – afin de recueillir mes appréciations. Après ce repas offert, je repartirai avec un sac plein de jambon et aitres produits du genre, pour une valeur d’environ trente euros. « On peut y aller au maximum une fois par semaine, moi j’y vais tous les mardis. » « Quand tu es intérimaire, après un mois d’arrêt, les chefs ne veulent plus de toi, m’assure-t-il. Il force le médecin à ne lui mettre qu’une semaine d’arrêt. » « A cause de ses absences et retards les lendemains de teuf, Kevin est intérimaire depuis trois ans. Il n’a donc jamais pris de congés payés et, contrairement à son pote Marc – plus sérieux - on ne lui a pas proposé de « contrat Mercure », le Graal aussi appelé CDI. » « Mais tout le monde est foutu à Mercure, c’est un métier de merde. Le seul truc, c’est que c’est bien payé et que t’as plein d’avantages. « Le revenu annuel de l’ouvrière de Mercure dépasse de près de 2000 euros le salaire médian annuel mesuré dans le département ». (13ème mois, deux primes annuelles : une prime d’assiduité de 400 euros et une prime d’intéressement au résultat de l’entreprise de 700 euros. »
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