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Commentaire La Boétie

Commentaire de texte : Commentaire La Boétie. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  22 Octobre 2015  •  Commentaire de texte  •  2 212 Mots (9 Pages)  •  1 749 Vues

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Commentaire de texte :

Etienne de La Boétie. Le discours de la servitude volontaire. 1549.

        « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ». Cette phrase, attribuée à Etienne de La Boétie, semble donner le ton au réquisitoire contre l’absolutisme que constitue Le discours de la servitude volontaire, rédigé en 1549. Humaniste, La Boétie réhabilite le genre du discours à la manière des orateurs antiques, en utilisant la rhétorique comme outil de liberté : il élabore ainsi une réflexion très originale pour son époque, via un texte virulent (même si cela est atténué par l’emploi d’exemples uniquement tirés de l’Antiquité afin de protéger son auteur), avec peu d’occurrence de Dieu dans la réflexion sur le pouvoir, et pose ainsi des problématiques nouvelles.

        L’extrait présenté, situé au début de l’œuvre, énonce, sous la forme d’un discours argumentatif, tout le paradoxe que représente la « servitude volontaire », et semble répondre à certains des questionnements sous-jacents du discours, à savoir l’origine du pouvoir du tyran, et par quels moyens se détacher de ce tyran dans l’optique de recouvrer la liberté.  

        Comment La Boétie fait-il un réquisitoire non pas contre le tyran, mais contre ses sujets, victimes consentantes de la servitude volontaire, et les exhorte-t-il à retrouver leur liberté ?

Pour répondre à ces questionnements, nous procéderons ici à une analyse linéaire du texte.

        Le texte s’ouvre par une exclamation, vantant le caractère prodigieux de la liberté (thème introduit ici et par ailleurs omniprésent dans le texte), capable de transcender les esprits, de les pousser à la « vaillance » (comprendre : à être des combattants valeureux prêts à sacrifier leurs vies pour elle). Par une telle exclamation, et comme le montre l’emploi du terme « miraculeux » (l.1) (acte surnaturel, attribué à une puissance divine, et donc qui s’oppose au quelconque, à l’ordinaire des hommes), l’auteur se veut ironique : une rupture va avoir lieu dans le texte, avec une nette opposition entre la représentation que font les récits et la réalité. Par la conjonction de coordination « mais » (l.2), l’auteur introduit un implacable constat sur le quotidien des hommes : « qu'un homme seul opprime cent mille villes et les prive de leur liberté » (l.5). La liberté, pour laquelle les personnages de papier des récits se battent, est d’ores et déjà confisquée aux hommes faits de chair. Ce constat est d’ailleurs généralisé dans le temps et l’espace par l’emploi de l’adverbe « partout » et de l’expression « tous les jours » (l.4-5), avec une assonance en [ou] pour appuyer cette impression d’un phénomène englobant les sociétés.

D’une opposition, on obtient donc un constat paradoxal : les hommes sont asservis par un tyran, et même, nous le verrons dans la suite du texte, se soumettent volontairement à lui, d’où l’oxymore de La servitude volontaire. Pourtant, cette observation paraît invraisemblable aux yeux de La Boétie, comme le montre la répétition des formes interrogatives ainsi que l’usage du conditionnel présent, remettant en cause la véracité des faits : « Qui pourrait le croire […] ? » (l.5). On observe une mise à distance de la réalité, un refoulement, comme le montre la présence de l’adverbe « encore » suivi de la conjonction « si » (l.7) qui introduit une condition, tentative désespérée pour montrer que tout ceci n’est pas vrai. On aurait donc ici affaire à une idée venue d’ailleurs, étrangère à la raison, inventée de toute pièce sur le mode du récit de voyage : « Encore, si ce fait se passait dans des pays lointains, et qu'on vint nous le raconter, qui de nous ne le croirait controuvé et inventé à plaisir ? ». Pour la Boétie, en tant qu’humaniste, si l’on considère que l’homme se fait par ses choix (comme l’a théorisé Pic de la Mirandole), il paraît absurde qu’il ait fait ce choix.

Mais il faut pourtant bien se rendre à la réalité. Réalité contre laquelle l’auteur va dès lors s’insurger, en lançant un appel au peuple pour non pas s’engager dans un combat qui n’est pas nécessaire, mais simplement ne pas consentir à l’oppression : « Il ne s'agit pas de lui rien arracher, mais seulement de ne lui rien donner » (l.14). On a ici une opposition entre la violence d’un supposé combat pour la liberté, et la véritable solution, plus simple à obtenir : « Et pourtant ce tyran, seul, il n'est pas besoin de le combattre, ni même de s'en défendre ; il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à la servitude » (l.10-13). La phrase « Qu'une nation ne fasse aucun effort, si elle veut, pour son bonheur, mais qu'elle ne travaille pas elle-même à sa ruine » (l.15-16) révèle toute l’absurdité du paradoxe de la Servitude volontaire. Par une double antithèse (les termes « aucun effort » associé au « bonheur » et de « travaille » associé à « ruine »), l’auteur veut pointer du doigt la bêtise humaine, qui fait tout à l’envers. L’homme a de tout temps travaillé à son bonheur, et la paresse n’a cessé de le conduire à la ruine, mais dans ce cas de figure, le contraire prévaut, ce que l’homme ne semble pas avoir compris : il se met à travailler (se met au service d’un tyran), et obtient sa ruine (la servitude), alors qu’il suffirait de ne rien faire (ne pas obéir au pouvoir) pour obtenir son bonheur (sa liberté).

Par ces jeux d’oppositions, La Boétie pose les préceptes de la désobéissance civile, refus assumé et public de se soumettre et de nourrir par sa coopération un pouvoir jugé illégitime, tout en faisant de ce refus une arme de combat pacifique. Le principe même du pouvoir politique pourrait rendre possible l'efficacité de cette action : dès l'instant où la population refuse d'obéir, l'État n'a plus de pouvoir, et on assiste à l'effondrement de celui-ci, car, disait La Boétie, le pouvoir le plus féroce tire toute sa puissance de son peuple.                 

Car en effet, La Boétie montre que c’est bien des sujets que le tyran tire son pouvoir, et répond donc par là même à la question de l’origine du pouvoir du tyran : on découvre la réponse par une réflexion sur une habitude sociale : « Comment il se peut que tant d'hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n'a de puissance que celle qu'ils lui donnent […] ? » se questionne l’auteur au début de son ouvrage. « C’est le peuple qui s’assujettit et se coupe la gorge » (l.20-21) : On a par l’image de l’automutilation l’idée d’une Servitude Volontaire : le pouvoir du tyran repose entièrement sur la coopération de la population. Le peuple subit les conséquences de ses propres décisions : « […] pouvant choisir d'être sujet ou d'être libre, repousse la liberté et prend le joug, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse » (l. 21-24). Se dessine en effet le champ lexical du libre-arbitre de l’homme (« choix », « repousse », « consent ») qui l’a conduit à sa perte, volontaire (le peuple est par ailleurs sujet de la phrase, et donc acteur de l’action, et non pas complément, victime de l’action).

On observe donc une structure argumentative signifiante dans ce texte, avec un plan analytique : un problème (l’absolutisme du tyran), une cause (la servitude volontaire) et une solution (la désobéissance civile).

Dès lors, après cette mise au point sur la situation, La Boétie va tout mettre en œuvre pour convaincre son auditoire, le peuple, de recouvrer sa propre liberté. Il fait tout d’abord de la liberté l’essence même de l’homme, l’assimilant à un de ses « droits naturels » (l.26) et donc inaliénable, et en animalisant l’homme privé de liberté : « de bête redevenir homme » (l.27). C’est donc son but ultime, ce dont il doit avoir « le plus à cœur » (l.27) de retrouver. Mais il fait bien attention à minimiser la difficulté que représente ce chemin vers la liberté, pour le décharger d’un quelconque effort, par un jeu de négation : « Et pourtant je n'exige pas de lui une si grande hardiesse: je ne veux pas même qu'il ambitionne une je ne sais quelle assurance de vivre plus à son aise » (l.28-30). Il s’oppose ainsi à la thèse de la liberté comme objet d’une conquête âpre, longue et difficile, niant la nécessité d’un effort dans ce périple. La phrase exclamative « Mais quoi ! » (l.31) résonne comme un cri du cœur de l’auteur, voulant nous faire prendre conscience de la simplicité enfantine de sa solution : « Si pour avoir la liberté, il ne faut que la désirer; s'il ne suffit pour cela que du vouloir, se trouvera-t-il une nation au monde qui croie la payer trop cher en l'acquérant par un simple souhait ? » (l.31-35). Avec les expressions « il ne faut que », « il ne suffit », « simple souhait », il insiste sur la simplicité de sa démarche et confond ainsi désir (ou volonté) et liberté : désirez et vous êtes libres. Il provoque ainsi chez le lecteur un sentiment de honte dans le cas où ce dernier ne daignerait pas réaliser ce simple geste. Sentiment de honte amplifié au regard de ceux qui se sont battus pour la liberté, inutilement : « Et qui regrette sa volonté à recouvrer un bien qu'on devrait racheter au prix du sang, et dont la seule perte rend à tout homme d'honneur la vie amère et la mort bienfaisante ? » (l. 35-37). Sur une tonalité épique, il présente ainsi la liberté comme l’objet de tous les combats, d’où sa valeur inégalable, le « prix du sang », et comme ce qui donne sens à la vie de l’homme : on a l’image d’un homme mis aux fers dans un monde sans liberté, avec la mort seule comme  perspective pour se libérer de ce calvaire. Soumettre la liberté à sa volonté parait ainsi un geste bien dérisoire en comparaison de tous les efforts entrepris auparavant pour la conserver, souvent en vain.

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