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dramatise son entrée en scène.

- La gestuelle de Virginie est extrêmement expressive : elle tend d’abord les bras vers Paul offrant le tableau émouvant d’une amoureuse tragique, puis, apercevant les spectateurs de l’île, elle leur fait signe de la main. « Son port était noble et assuré », elle est la « demoiselle » aux belles manières françaises. Ainsi la jeune fille digne et bien éduquée l’emporte sur l’amoureuse éperdue.

La scène est théâtrale et le regard du lecteur est confondu dans celui des habitants de l’île qui, sur le rivage, assistent à l’apparition de Virginie sur le pont du bateau en train de sombrer.

Le profane et le sublime en conflit tragique

- L’épisode très symbolique de l’intervention du marin va confirmer cette posture chaste et sublime de Virginie. Le matelot, pour la sauver, tente de lui ôter ses habits (« Il s’approcha de Virginie avec respect : nous le vîmes se jeter à ses genoux, et s’efforcer même de lui ôter ses habits. »). La réaction de Virginie est celle de la pudeur : « mais elle, le repoussant avec dignité, détourna de lui sa vue. ». L’éducation puritaine reçue en France prédomine sur l’instinct naturel de survie. Virginie obéit peut-être aussi inconsciemment à la prédestination de son prénom, emblème de pureté.

- Le matelot est plus courageux que les autres qui « s’étaient jetés à la mer », il reste sur le pont et tente de secourir Virginie ; il « était tout nu et nerveux comme Hercule ». Si Virginie est engoncée dans son carcan d’habits et d’interdits, le jeune homme, lui, est à l’état de nature et son aspect est plutôt avantageux puisqu’il est musclé et athlétique. Sa force, son courage et sa virilité le font comparer à Hercule. Le surgissement du motif païen et sensuel est une fine métaphore voilée de la tentation charnelle, d’ailleurs Virginie s’empresse de détourner de lui sa vue ! N’oublions pas que le marin, dans cette scène, est placé entre Virginie et Paul qui, dans les flots, tente de s’approcher du navire …

- D’ailleurs, comme pour atténuer la hardiesse de sa comparaison, le narrateur ajoute aussitôt : « Il s’approcha de Virginie avec respect : nous le vîmes se jeter à ses genoux ». Le respect, le geste de soumission ou de supplication rendent décente son initiative. Mais comment expliquer la réaction de refus outragé de Virginie si ce n’est aussi par le trouble qu’elle ressent ? L’orage et le naufrage pourraient être une transposition des états passionnels de Virginie ou alors la force inouïe de la nature en conflit avec la culture et ses conventions artificielles. Les spectateurs réagissent à la scène par des encouragements au matelot :« Sauvez-la, sauvez-la, ne la quittez pas ! ». Ces cris sont touchants et redonnent à la tentative du marin toute son innocence.

Une dernière chance était ainsi donnée à Virginie de survivre au naufrage pourvu qu’elle se déleste de sa lourde parure mondaine et qu’elle retrouve l’état de nature. Son retour et ses retrouvailles avec Paul et ses amis auraient alors été une fête mais, semble-t-il, l’éducation reçue en métropole a aboli toute simplicité et a donc des effets funestes. Bernardin de Saint Pierre est bien le disciple de Rousseau !

Le martyre d’une sainte

- La mer retrouve alors toute sa violence de bête sauvage : « Mais dans ce moment une montagne d’eau d’une effroyable grandeur s’engouffra entre l’île d’Ambre et la côte, et s’avança en rugissant vers le vaisseau, qu’elle menaçait de ses flancs noirs et de ses sommets écumants ». L’animal auquel la mer est comparée semble bien être un taureau furieux (« rugissant … ses flancs noirs … écumants »). C’est un symbole de force aveugle, de passions déchaînées ; après l’assaut du matelot, Virginie doit subir celui, redoutable et fatal, de l’océan en furie. Cette fois, elle est seule, le marin s’étant jeté dans la mer à la vue du péril.

- On assiste alors à la dernière posture de Virginie : « et Virginie, voyant la mort inévitable, posa une main sur ses habits, l’autre sur son cœur, et levant en haut des yeux sereins, parut un ange qui prend son vol vers les cieux. » Le rythme de la phrase est croissant en deux temps avec un arrêt sur « le cœur »(4/8/9/5/9/12), mimant l’envol vers le paradis de l’ange auquel elle est comparée. Virginie est transfigurée (« Yeux sereins »), et assimilée à un ange, motif chrétien qui s’oppose aux images mythologiques de Hercule ou de la mer-taureau. La pose immobile de la jeune fille réunit les trois aspects féminins qu’elle incarne : la main sur ses habits fait référence à son personnage social, la main sur le cœur à son rôle d’amoureuse idéaliste et les yeux vers le ciel, à la sainte chrétienne prête à se sacrifier, c’est-à-dire à une martyre. Le tableau est sublime (lat. sublimis : élevé dans les airs) au sens étymologique et moral et fait penser aux images pieuses saint-sulpiciennes. La mort de Virginie est suggérée par cette posture finale symbolique.

- La déploration finale résonne comme celle d’un chœur antique ou d’un requiem(« Ô jour affreux ! hélas ! tout fut englouti »). Les habitants de l’île, impuissants, ne peuvent que se lamenter et le matelot, qui avait tenté de la sauver, que regretter dans une prière à Dieu d’avoir échoué: « Ô mon Dieu ! vous m’avez sauvé la vie ; mais je l’aurais donnée de bon cœur pour cette digne demoiselle qui n’a jamais voulu se déshabiller comme moi ». On ne peut s’empêcher de remarquer l’insistance sur le fait que Virginie ait refusé de se dévêtir et cette précision nous renvoie à la connotation charnelle déjà évoquée précédemment.

Le profane et le sublime s’opposent très nettement dans ce passage et le sublime chrétien l’emporte, ce qui rend la scène édifiante et dramatique. La terreur, la pitié et l’admiration, les trois ressorts de la tragédie classique, se retrouvent ici, avec en plus les réactions émotives des spectateurs de la scène, ce qui ajoute du pathétique à cet épisode.

Le portrait mortuaire de Virginie assimilé à une relique

- Un passage narratif destiné à expliquer ce qu’il est advenu de Paul « qui commençait à reprendre ses sens », prépare la description funèbre de la découverte du corps de Virginie échoué sur la grève.

- Les caractéristiques de ce portrait mortuaire sont les suivantes :

* La pudeur conservée : « Elle était à moitié couverte de sable … les roses de la pudeur … Une de ses mains était sur ses habits ». Le « linceul » de sable épargne la description du corps.

* La beauté et la pureté du visage : « Ses traits n’étaient point sensiblement altérés. Ses yeux étaient fermés ; mais la sérénité était encore sur son front : seulement les pâles violettes de la mort se confondaient sur ses joues avec les roses de la pudeur ». Les métaphores florales appartiennent au style précieux traditionnel.

* La fidélité éternelle à Paul, notable dans la posture : « et l’autre, qu’elle appuyait sur son cœur, était fortement fermée et roidie. J’en dégageai avec peine une petite boîte : mais quelle fut ma surprise lorsque je vis que c’était le portrait de Paul, qu’elle lui avait promis de ne jamais abandonner tant qu’elle vivrait ! ». L’image de Paul serrée contre le cœur est le symbole de l’attachement éternel.

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