TD Droit des obligations : Cass. civ. 2e, 11 février 2021, 19-23.525
TD : TD Droit des obligations : Cass. civ. 2e, 11 février 2021, 19-23.525. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Justin Reyes • 18 Avril 2023 • TD • 2 275 Mots (10 Pages) • 335 Vues
Commentaire d’arrêt :
Cass. civ. 2e, 11 février 2021, 19-23.525
Les morts sont les invisibles, mais ils ne sont pas les absents[1]. C’est pourtant la reconnaissance de l’existence d’un préjudice moral subi par sa fille, dû à l’absence d’un grand-parent, qu’une mère décide d’agir en justice.
Dans un arrêt rendu par sa deuxième chambre civile le 11 février 2021, la Cour de cassation statue sur un prétendu préjudice moral subi par une petite-fille ayant perdu son grand-père à la suite d’un meurtre.
À la suite d’un arrêt civil rendu par la cour d’assises de Bordeaux le 16 mai 2016, une somme est allouée à la mère de la petite-fille de la victime au titre d’un préjudice moral subi par cette dernière. Après avoir saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infractions, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) décide de contester l’octroi des dommages-intérêts au profit de la demanderesse.
Le FGTI soutient dans la première et troisième branche de son unique moyen d’une part, une absence de lien de causalité entre le décès de la victime et le préjudice moral subi par la petite-fille suite au décès de son ascendant. D’autre part, que si le préjudice subi par un descendant suite à la disparition prématurée de l’un de ses parents est certain, il n’en n’est pas de même pour une telle disparition d’un autre membre de sa famille.
Face à ces faits, la Cour de cassation devait alors se positionner quant à savoir si le décès prématuré d’une victime, à la suite d’une infraction criminelle, pouvait donner droit à la réparation d’un préjudice d’affection au profit de ses petits-enfants ?
La Haute juridiction répond par l’affirmative en motivant sa décision sur le fait que la petite-fille était déjà conçue au moment du décès de la victime. Elle se trouve, en raison du meurtre ayant conduit à la mort de son grand-père, privée de la présence de ce dernier. Et ce, malgré l’incertitude d’un éventuel lien d’affection qu’elle aurait eu avec son aïeul si elle l’avait connu.
Cette décision, cohérente eu égard au but recherché par la responsabilité civile qui est celui d’indemniser les victimes, voit cependant apparaître un revirement jurisprudentiel puisque la Cour étend cette réparation aux petits-enfants de la victime directe nés post-mortem (I), non sans en esquisser les quelques limites de son raisonnement (II).
- Le préjudice moral du fait de l’absence d’un proche, l’évolution de sa réparation
Guidée par une politique juridique favorable à sa réparation, le préjudice moral subi par les proches de la victime directe, décédée de manière accidentelle, a connu une évolution favorable aux victimes par ricochet. Rappeler dans un premier temps la position classique de la Cour de cassation (A) à cet égard est nécessaire afin d’apprécier pleinement l’apport de l’arrêt commenté (B).
- Le refus, position traditionnelle
C’est d’abord face au refus traditionnel de la part de la Cour de cassation que les enfants nés après la disparition d’un de leur parent se heurtaient lorsque ces derniers demandaient la réparation d’un prétendu préjudice moral. En effet, la Haute juridiction refusait l’octroi de dommages-intérêts au profit des victimes par ricochet sur le terrain du lien de causalité qui, selon elle, était inexistant entre les accidents et le préjudice allégué.
« Qu’en statuant ainsi, alors qu’il n’existait pas de lien de causalité entre l’accident et le préjudice allégué, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; ». En deux lignes les Hauts magistrats mettaient fin à des années de procédure en refusant d’indemniser le préjudice moral qu’invoquaient les enfants, nés a posteriori de l’évènement dommageable, d’un père laissé avec un handicap à la suite d’un accident[2]. Cette décision avait été accueillie de manière favorable par la doctrine qui relevait notamment qu’en l’espèce, les enfants nés postérieurement à l’accident n’avaient jamais connu leur père sans handicap.
Certains en concluent donc que « sans nier les inconvénients liés au handicap de leur père et une certaine privation d’agrément, on sera donc pour le moins réservé sur la réalité de ce préjudice. C’est pour ce motif, plus encore qu’en raison de l’absence de causalité, que [cet arrêt] nous semble devoir être approuvé »[3]. Un risque de « dérive du droit à réparation aux conséquences économiques désastreuses »[4] justifierait, selon certains auteurs, cette position.
Cependant la jurisprudence, incubatrice de la responsabilité civile en raison d’une absence d’intervention du législateur, est restée maître de la direction que prend ce mécanisme. Lentement, elle fait évoluer sa vision puisqu’elle décide d’effectuer un premier revirement jurisprudentiel qui depuis, n’a cessé de s’étendre.
- L’extension, position nouvelle
« Dès sa naissance, l’enfant peut demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel de son père survenu alors qu’il était conçu ». Voilà comment, le 14 décembre 2017, la deuxième chambre civile[5] a abandonné sa position traditionnelle et reconnu comme étant réparable le préjudice moral subi par un enfant du fait de l’absence de son père[6]. Dans cet arrêt la seule disparition accidentelle du parent suffit à habiliter l’enfant, même né post mortem, à demander réparation de ce manque s’il était déjà conçu au moment des faits dommageables.
Face à ce revirement jurisprudentiel, la doctrine était cette fois plus mitigée, certains lui attribuant une « modeste portée » et critique une analyse « laxiste » de la causalité[7]. C’est en ce sens que certains auteurs en concluent qu’il serait peu probable d’admettre l’existence d’un préjudice moral « en cas de décès de grands-parents que l’enfant n’a pas connus »[8]. C’était sans compter la politique juridique, favorable à la réparation, de la Cour de cassation qui leur donnera tort quelques années plus tard.
La Cour de cassation, dans l’arrêt commenté, motive sa décision en considérant que la petite-fille, déjà conçue au moment du décès de la victime, a été privée de la présence de son aïeul. Elle relève notamment que l’enfant allait « [nécessairement souffrir] de l’absence » de son grand-père. Les Hauts magistrats vont même plus loin en faisant de cette déclaration une présomption — qui à sa lecture, pourrait être défendue comme étant irréfragable — n’ayant besoin d’aucune autre justification pour exister. Elle rompt ainsi avec sa position initiale sur ce sujet prononcée dans des faits similaires où l’absence de lien de causalité entre le décès de la victime et le préjudice subi par la petite-fille avait justifié le refus d’allouer des dommages-intérêts au profit de cette dernière pour un prétendu préjudice moral[9].
- Les frontières de la position nouvelle
De la même manière que pour un père ou une mère, la Cour de cassation fonde sa décision sur la conception de la petite-fille au jour du décès de son grand père afin de reconnaître l’existence du préjudice dont elle se prévaut. En puisant sa source dans une fiction juridique (A), la décision de la Cour de cassation d’étendre la portée d’une jurisprudence déjà fragile, en apparaît plus acceptable sur le plan éthique que juridique (B).
- Une fiction juridique, source d’inspiration
« Ayant relevé que [la petite-fille] était déjà conçue », que cette dernière se trouve « privée […] de la présence de son grand-père dont elle avait vocation à bénéficier ». Difficile ici de ne pas faire le parallèle avec la fiction juridique considérant qu’un enfant est réputé né à chaque fois qu’il y va de son intérêt. C’est notamment en raison du fait que l’enfant n’ait pas encore été conçu que la Cour de cassation rejette l’existence d’un lien de causalité entre le dommage invoqué par la prétendue victime et le fait prétendument générateur de celui-ci dans un deuxième pourvoi rendu le même même jour[10].
Faisant ainsi de la conception de l’enfant un critère — presque — obligatoire afin de reconnaître l’existence d’un lien de causalité dans des faits similaires. En effet, c’est précisément en raison de la conception a posteriori de l’enfant que, selon la Cour de cassation, le lien de causalité était inexistant et rejette pour cette raison qu’elle rejette la réparation dans un troisième arrêt le même jour concernant cette fois la demanderesse née quelques années après la disparition de sa sœur[11].
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