L'Antependium de Bale
Commentaire d'oeuvre : L'Antependium de Bale. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Francesca Romano • 31 Octobre 2018 • Commentaire d'oeuvre • 7 053 Mots (29 Pages) • 937 Vues
L’Antependium de Bâle
Aucune dénomination ne cristallise les particularités de l’art fleurissant aux quatre coins de l’Europe de l’an mil et ce, contrairement à la période qui le précède, l’art carolingien, et celle qui le suit, l’art roman. Définit par défaut, l’art de l’an mil (pour reprendre l’expression d’Henri Focillon) s’impose néanmoins comme « une date charnière sur laquelle l’on voit, en quelque sorte, se plier le temps ». Courant de 950 à 1050 la période est marquée par de nombreux évènements historiques de premier plan : la résistance byzantine, l’expansion de l’islam, l’émergence de nouveaux empires… jusqu’à nommer le Xème siècle le « siècle de fer », comme si les ténèbres s’étaient en quelque sorte imposées après la chute de Rome.
Le siècle s’envisage également comme celui du statu quo et de la torpeur chrétienne face aux invasions orientales et musulmanes : ni la langue latine ni le christianisme ne pouvaient être interrogés puisqu’ils étaient des facteurs de différenciation civilisationnels cruciaux avec ceux que l’on nommait à tort, « les barbares ».
L’activité politique et culturelle centrale de cet « an mil », hormis celle évoquée précédemment, est marquée par l’établissement du Saint Empire Romain Germanique, dans les cendres de l’empire carolingien. Or, cette résurrection est celle d’un syncrétisme de l’héritage carolingien, paléochrétien et byzantin, vers l’art roman, très variable à l’échelle régionale. Ainsi on ne parle pas « d’art de l’an mil » mais bien des arts de l’an mil, quelque peu délaissés par les chercheurs, au point que la vitalité artistique de l’époque, en particulier celle des contrées ottoniennes. Elle fut pourtant portée par un engouement tout autant impérial qu’aristocratique et donna naissance à des œuvres de grande facture tant par la finesse que la richesse de leur exécution.
Le terme ottonien n’est plus seulement un adjectif réservé à la désignation d’un phénomène historique et politique mais bel et bien un art à part entière, dont l’unité de forme serait tentante mais utopique : en effet l’empire allait de l’ouest jusqu’à l’Oder, et passant par l’Italie. Il y avait donc plusieurs influences artistiques, malgré les désirs fous de dominations universalistes animés de ce Kuntswollen (nous reprenons ici « la volonté » décrite par Alois Riegl) typiquement ottonien.
S’écroulait au IXème siècle l’empire carolingien et avec lui, les grands centres artistiques qui avaient fait sa gloire : ce n’est que portée par un projet politique nouveau et l’ambition dévorante d’une dynastie fondatrice d’une entité quasi millénaire.
A la mort du dernier carolingien de l’est, Conrad, duc de Franconie devint roi, succédé par Henri, duc de Saxe et fervent défenseur du regnum teutonicorum. Ici s’opère selon les propres mots de Widukind de Corvey, historiographe saxon, la translatio regni ad saxones séparant définitivement territorialement l’ouest (francs) de l’est (les saxons) ne les laissant plus qu’unit dans la foi chrétienne qui donnera son nom au Saint Empire Romain Germanique.
L’époque emprunte son nom à Otton Ier, fils d’Henri, qui revêt la couronne fermée à Rome en 962 et s’ouvre au sud vers l’Italie, en tant que protecteur de l’évêché de Saint Pierre, l’imposant de fait comme ordonnateur de l’occident chrétien, et confirmant ses penchants universalistes perpétué ensuite par son fils Otton II, Otton III, les portant à leur paroxysme, et enfin Henri II. Ainsi le troisième Otton est décrit par le futur pape Sylvestre II en 967 :
« Nôtre, oui, nôtre est l’empire romain : Notre auguste, empereur des romains c’est toi ô César ! issu du sang grec le plus noble, tu surpasses les grecs en puissance, gouvernes les romains par droit d’héritage l’emporte sur les deux en esprit et éloquence. »
L’équilibre fécond portée par la dynastie ottonienne entre l’église et la puissance impériale se voit sublimée par les règnes sacramentels des ottoniens, un absolutisme apostolique dont l’idéalisme exacerbé viendra se heurter aux réalités politiques. Henri II est canonisé en 1146 tout comme son épouse en 1200. L’affirmation de ce pouvoir ne se fera pas sans la culture et l’art et la fondation de nouveaux épicentres artistiques : néanmoins l’art ottonien n’aura qu’une manifestation limitée, d’autant qu’il est un art de la symbiose, de l’assimilation.
Nous parlions d’influences multiples plus haut : se réclamant délibérément des romains comme des carolingiens dans une plus forte mesure, l’influence byzantine est également centrale dans l’art ottonien : Otton II épouse en effet une princesse byzantine du nom de Théophano (972) d’où de fructueux échanges culturels dont l’homogénéité s’avère suffisante pour évoquer un « art ottonien ». Le développement d’un art impérial ne s’aurait s’être fait sans un mécénat puissants des princes séculiers mais également des principes de l’église, favorisant un art de la spiritualité suprême. Celle-ci est en effet portée par une foi aux accents mystiques définissant le monde terrestre comme reflet du céleste et frayant la voie à la pénétration du temporel et du spirituel. L’empereur s’illustre comme gardien du monde, pont entre ciel et terre : il participe ainsi de l’humain par sa nature et du divin par sa grâce, dans le cadre d’un art perpétuellement orienté vers l’au-delà.
Et l’orfèvrerie ottonienne semble la plus étroitement liée à l’art sacré, d’abord de par l’importance des regalias dans la définition de la nature du souverain mais aussi par la richesse des trésors des anciennes cathédrales d’Aix la Chapelle, Cologne, Bamberg ou encore Bâle.
De la période ottonienne stricto sensu ne reste que peu de grandes pièces : or nous trouvons le dit « Antependium » de Bâle, y résidant depuis le XIème puis vendu au XIX par la ville à un collectionneur et acquis par le Colonel Victor Theubet avant d’échoir au Musée Cluny en 1854.
Probablement originaire des ateliers de Fulda de la seconde ou début de la troisième décennie du XIème siècle (1015-1022), l’œuvre affiche une hauteur d’1 mètre 20, pour une largeur d’1 mètre 775 cm et une épaisseur de 13 centimètres. Exceptionnel, l’ouvrage d’orfèvrerie se compose d’or sur âme de bois de chêne présentant autrefois des bourrages de cire aux emplacements des figures. Les bandeaux sont en cuivre doré et émaillé, mais la composition de ce devant d’autel présente également un alliage d’argent, de verroteries, de pierres précieuses et semi précieuses dont 4 intailles dans les nimbes de personnage.
Problématique : En quoi l’antependium de Bale illustre-t-il une spoliation artistique multiforme , au service d’une politique ottonienne universaliste ?
- Description d’un antependium
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- L’objet dans sa totalité
Au Moyen Age, la liturgie et la messe occupent une place primordiale dans la vie des hommes. L’autel, alors, dévient l’élément essentiel de la cérémonie et une attention particulière est accordé à la décoration de la face principale de ce dernier, qui peut être décoré d’un devant d’autel, plus connu sous le nom d’antependium.
Dérivé du latin « pendeo » (« pendre) avec le préfixe « ante » ( devant), l’antependium désigne tout type d’ornement de drap ( soie, satin ou velours) enrichi de broderies ou peintures, placé sur le devant de la table d’un autel pour le masquer et pour le décorer. Ce parement d’exception, l’antependium de Bale qui s’inscrit parfaitement dans l’art ottonienne, prend des formes variées : des plaques d’or travaillées au repoussé ( technique de métallurgie qui consiste à obtenir un motif en relief en travaillant une plaque d’or par l’arrière en le « repoussant » à l’aide d’un poinçon) sont fixées par des petits clous d’or sur un plateau de bois de chêne qui n’est pas celui d’origine. Pour éviter les enfoncements accidentels, les figures sont remplies à l’intérieur par la cire, laquelle a disparue lors du remplacement du support en bois. L’inscription se déploie sur des plaques de cuivre doré tandis que les nimbes des personnages sont enrichis par la présence de pierres précieuses, semi-précieuses, verroteries, perles et intailles antiques.
- Le champ avec cinq personnages centraux
Le champ, se compose de cinq arcades en plein cintre où celle du centre est beaucoup plus développée et légèrement outrepassée, au-dessus desquelles on retrouve des inscriptions en capitales qui nous permettent d’identifier les cinq personnages :
- Au centre, de taille supérieure aux autres personnages se détache la silhouette du Christ Jésus (Rex regnum Dominus dominantium), c’est-à-dire « roi des rois, seigneurs des seigneurs », dont le nimbe crucifère (cercle, disque de lumière au-dessus de la tête) comporte parmi les filigranes et les perles, quatre saphirs et quatre intailles antiques (une coraline, une agate arborisée, une chrysoprase, une améthyste). Le Christ, bénit de la main droite et élève de la main gauche un globe qui est frappé de son monogramme qu’accostent l’alpha et l’oméga.
- A ses pieds, se prosternent deux petites figures couronnées, en qui, selon la tradition médiévale du don de l’autel, on a reconnu comme l’empereur Henri II et son épouse Cunégonde.
- Dans l’entrecolonnement gauche figure Michael, « Sanctus Michael » avec un « c » carrée dans la graphie de son nom, qui est doté d’un nimbe plus simple par rapport à celle du Christ et qui présente que des filigranes de billes d’argent et des verroteries. On verra ensuite qu’il en sera pratiquement de même pour les trois autres personnages qui suivent. L’archange, tient de sa main droite un globe frappé d’une croix, signe de rédemption et de la main gauche l’étendard du premier combattant de l’armée de Dieu.
- Sous l’arcade gauche externe apparait « Sanctus Benedictus Abbas », Saint Benoît de Nursie, qui présente un nimbe ne comportant que des billes d’argent et des verroteries vertes. Vêtu en moine, il tient la crosse des abbés et un livre, qui est l’allusion à la Règle Bénédictine qu’il a donné à l’ordre monastique qu’il a fondé au VI siècle.
- Sous l’arcade droite interne, se présente l’ange Gabriel « Sanctus Gabriel » qui possède un nimbe avec des billes d’argent, des verroteries vertes et une malachite. L’archange en question tient de la main droite un long sceptre à terminaison bouleté et il élève la paume de la main gauche vers l’avant en geste d’adoration vers le Christ.
- Enfin, sous l’arcade droite externe, apparait le « Sanctus Raphael », l’archange Raphael, qui possède un nimbe contenant à nouveaux des billes d’argent et des verroteries vertes et une malachite. Il a une attitude assez proche de celle de son voisin avec la présence du sceptre mais cependant la main droite en moins élevée par rapport à l’autre archange.
On observe alors que, quant à la composition d’ensemble que chacun des personnages logés sous les arcades latérales, est de ¾ tourné vers le Christ.
- Les éléments « autonomes » de l’œuvre
L’œuvre de format rectangulaire, se compose de plusieurs éléments autonomes. Quant à leur ornementation, au -dessus des arcades se placent deux bandeaux, l’un peuplé d’oiseaux et des quadrupèdes qui soulignent un chanfrein à rinceau strictement végétale, l’autre, cette fois de cuivre doré, comportant douze plaquettes dorées sur lesquelles se développe en lettre d’emails rouge une inscription dont on analysera le contenu successivement dans l’exposé. Sur les petits côtés du rectangle et quelque peu en retrait par rapport aux bandeaux inscrits, se dressent les montants verticaux qui reprennent le thème du rinceau peuplé.
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