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A-t-on le droit de se taire quand on connaît la vérité ?

Mémoire : A-t-on le droit de se taire quand on connaît la vérité ?. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires
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andale qu'il connaît au point que le silence est une sorte de complicité du crime : " L'écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi. Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu'ils n'ont pas écrit une ligne pour l'empêcher. Ce n'était pas leur affaire dira-t-on ? Mais le procès de Calas, était-ce l'affaire de Voltaire ? La condamnation de Dreyfus, était-ce l'affaire de Zola ? L'administration du Congo, était-ce l'affaire de Gide ? Chacun de ces auteurs, en une circonstance particulière de sa vie, a mesuré sa responsabilité d'écrivain. " (Situations, II) Ainsi, la responsabilité de l'écrivain est de dire la vérité quand il la connaît.

Dans bien des circonstances, nous reprochons aux hommes d'avoir tu quand ils savaient. Quand les responsables d'EDF ont tu la vérité sur le nuage radioactif issu de l'accident de Tchernobyl survolant le territoire français, nous avons crié au scandale. Le mensonge d'État (fût-il par omission) nous révolte et quand la vérité éclate notre conscience morale est heurtée par tout ce qu'on nous a caché. Nous attendons de nos dirigeants qu'ils nous disent la vérité même, et surtout, si elle n'est pas "bonne à entendre". Il nous semble ici que le proverbe ment : toute vérité est bonne à dire si notre vie ou l'exercice de notre citoyenneté sont en cause. Il y va de l'exercice de la démocratie.

De même, il nous semble y avoir un devoir de vérité en histoire. Celui qui a vécu les drames de l'histoire se doit de témoigner par respect envers les victimes. Quant aux témoins dans un procès, il est de leur devoir de dire toute la vérité. De la personne qui sait pertinemment que l'enfant de son voisin est battu et qui n'alerte personne, on dira qu'elle est coupable de non-assistance à personne en danger. Les exemples abondent.

Il y a donc bien des vérités qu'on n'a pas le droit de taire. Mais faut-il en conclure que ce serait le cas de quelques vérités (mais alors lesquelles ? Selon quels critères les déterminer ?) ou notre devoir de dire est-il universel ? Du reste un devoir est universel ou n'est pas. C'est en tout cas ce que pense Kant.

2) Le devoir de vérité est absolu.

Dans l'opuscule Sur un prétendu droit de mentir par humanité, Kant défend l'universalité du devoir de vérité.

Il part de l'examen d'un exemple extrême, mais c'est justement son caractère extrême qui le rend exemplaire. Supposons que quelque criminel me somme de dire quelque chose qui met ma vie ou celle d'un autre en danger. Par exemple il me force à avouer où se cache mon ami pour le tuer. Ai-je le droit de me taire (voire de mentir) ou dois-je quand même dire la vérité ?

Kant répond que la véracité dans ses déclarations est un devoir absolu de l'homme envers chacun, si grave soit le préjudice qui peut en résulter pour lui. Si, en ne disant pas la vérité, je ne commets, certes, aucune injustice à l'égard du criminel qui me force à parler, j'en commets néanmoins une envers la morale c'est à dire envers l'humanité. C'est en effet la grandeur de l'homme que de pouvoir fonder une morale puisque celle-ci est l'œuvre de la raison, faculté qui nous distingue de l'animal. Agir contre la morale c'est donc porter atteinte à l'humanité elle-même. Dès lors il est faux de dire que la vérité puisse nuire aux hommes. C'est au contraire le mensonge (même par omission) qui nuit à l'humanité et donc à autrui. Même si se taire ne nuit pas à un individu en particulier, cela nuit à l'humanité toute entière. Il faut bien voir, en effet, qu'admettre même une seule infraction à la morale, c'est créer un précédent qui conduit à admettre toutes les infractions. Il n'y a plus de limite. La morale s'écroule et, puisqu'elle nous distinguait de la bête, ce qui en résulte est un retour de l'homme à l'animalité.

Kant ajoute que le mensonge par bonté d'âme peut même, par accident, tomber sous le coup de la loi civile. Or, ce qui n'échappe à la sanction que par accident est injuste. Le droit a valeur universelle. Une action ne saurait être juste dans certains cas et injuste dans d'autres.

Si, par mensonge, on empêche quelqu'un d'agir alors qu'il s'apprête à commettre un meurtre on est alors juridiquement responsable de toutes les conséquences qui pourraient en découler. En revanche, si l'on s'en tient à la stricte vérité, la justice publique ne peut s'en prendre à nous, quelles que puissent être les conséquences imprévues qui en résultent. Dans notre exemple, le meurtrier seul est responsable. Il est possible qu'après avoir répondu loyalement par l'affirmative au meurtrier qui demande si mon ami est dans ma maison, ce dernier en soit sorti sans qu'on le remarque et que le forfait n'ait pas lieu. Mais si, faute d'avoir dit la vérité, le meurtrier rencontre par hasard mon ami, alors c'est moi qui suis responsable du crime. En effet, si j'avais dit la vérité, peut-être le meurtrier aurait pu être arrêté par un voisin accouru et le crime aurait alors pu être empêché. Celui qui ment, même avec générosité, doit répondre des conséquences de son mensonge même devant les tribunaux civils. La véracité est un devoir et si on admet la moindre infraction au devoir, celui-ci s'effondre.

Dans une nouvelle intitulée Le Mur, Sartre raconte une histoire qui ressemble à l'exemple kantien. Un résistant est arrêté et ses bourreaux le forcent à dire, sous peine de mort, où sont cachés ses amis. Le résistant donne une fausse adresse. Par malheur, entre temps ses amis ont changé de cachette et se trouvent justement à l'adresse donnée aux bourreaux. Ils sont arrêtés. Selon Sartre, le héros de cette histoire a fait preuve de mauvaise foi. Il a voulu se donner un délai. Il a refusé sa mort. Il ne devait pas mentir. Pour Sartre, du reste, il ne devait pas non plus dire la vérité. Il devait justement se taire. Kant va beaucoup plus loin. Nous n'avons pas le droit de nous taire car se taire est encore mensonge. Le commandement de la raison qui implique de toujours dire la vérité est sacré et ne peut être limité par aucune convenance. Il faut toujours être véridique. Si cela nuit, c'est par accident et cela pourrait donc être autrement.

Exiger d'autrui qu'il mente pour nous être utile manifeste une prétention contraire à toute légalité. Tout homme a, non seulement le droit mais aussi le devoir le plus strict d'être véridique. La vérité n'est pas un bien dont on serait propriétaire et sur lequel on pourrait reconnaître un droit à l'un tandis qu'on le refuserait aux autres. Le devoir de véracité ne fait aucune différence entre les personnes envers lesquels il serait possible de s'en excepter. Un principe moral reconnu vrai ne doit jamais être abandonné quels que soient les dangers apparents. Le danger de nuire accidentellement est en effet un danger moins important que celui de commettre une injustice en général, de commettre une infraction à la morale universelle.

Ainsi, il semble que nous n'ayons pas le droit de nous taire. Pourtant, le rigorisme kantien ne constitue-t-il pas une vision finalement très abstraite de la morale ? Peut-on la figer dans cet absolu formel ? Contrairement à ce que dit Kant, n'y a-t-il pas bel et bien des exceptions à la règle de la vérité ?

II Faut-il vraiment toujours dire la vérité ?

1) Les circonstances du droit de se taire.

La position de Kant, comme le souligne André Comte- Sponville dans son Petit traité des grandes vertus, nous semble aujourd'hui insoutenable. Sous la seconde guerre mondiale, celui qui cachait un juif ou un résistant dans son grenier se devait-il d'en aviser la Gestapo ? Tout homme de devoir se sentira ici non seulement dans son droit en se taisant mais considèrera même que c'est son devoir.

De même quand le prisonnier torturé par la police nazie refuse de livrer ses amis et se tait sous la torture, nous ne dirons pas qu'il commet une injustice. Nous éprouverons au contraire du respect pour celui qui même dans une situation intolérable a su faire son devoir. Or cet exemple n'est guère différent de l'exemple kantien. Certes, comme Kant, nous admettons que mentir, au sens d'énoncer quelque chose de faux, n'est pas moral. Mais personne ne peut me forcer à parler. Se taire, c'est affronter la torture, la mort mais c'est aussi ne pas se faire complice du crime. N'est-il pas clair ici que le sacrifice d'un homme en empêche beaucoup d'autres ?

Il est, du reste, des professions où l'obligation de se taire est présentée comme un devoir absolu auquel on ne saurait déroger. Que penser d'un médecin qui trahit le secret médical ou d'un prêtre qui ne respecte pas le secret de la confession (même si on lui avoue un crime) ?

Reste enfin le cas d'école qu'on évoque toujours, à savoir le cas de conscience du médecin qui sait que son malade va mourir. La question ici n'est pas simple et, justement, n'est-ce pas la simplifier à l'extrême que de dire : "il faut dire la

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