Dissertation Sur Le Roman
Documents Gratuits : Dissertation Sur Le Roman. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresle soir tombait, l'homme sombre arriva
5 Au bas d'une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine
Lui dirent : "Couchons-nous sur la terre et dormons."
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
10 Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres
Et qui le regardait dans l'ombre fixement.
"Je suis trop près", dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.
15 Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans sommeil ; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
20 "Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes."
Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes
L'œil à la même place au fond de l'horizon.
Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
25 "Cachez-moi !" cria-t-il ; et, le doigt sur la bouche,
Tous ses fils regardaient trembler l'aïeul farouche.
Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans le désert profond :
"Étends de ce côté la toile de la tente."
30 Et l'on développa la muraille flottante ;
Et, quand on l'eut fixée avec des poids de plomb :
"Vous ne voyez plus rien?" dit Tsilla, l'enfant blond,
La fille de ses fils, douce comme l'aurore ;
Et Caïn répondit :"Je vois cet œil encore !"
35 Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : "Je saurai bien construire une barrière."
Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
Et Caïn dit : "Cet œil me regarde toujours !"
40 Hénoch dit : "Il faut faire une enceinte de tours
Si terrible que rien ne puisse approcher d'elle.
Bâtissons une ville avec sa citadelle.
Bâtissons une ville et nous la fermerons."
Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
45 Construisit une ville énorme et surhumaine.
Pendant qu'il travaillait, ses frères, dans la plaine,
Chassaient les fils d'Énos et les enfants de Seth ;
Et l'on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
50 Le granit remplaça la tente aux murs de toile.
On lia chaque bloc avec des nœuds de fer
Et la ville semblait une ville d'enfer ;
L'ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs l'épaisseur des montagnes ;
55 Sur la porte on grava : "Défense à Dieu d'entrer."
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l'aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. "O mon père !
L'œil a-t-il disparu?" dit en tremblant Tsilla.
60 Et Caïn répondit : "Non, il est toujours là."
Alors il dit : "Je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien."
On fit donc une fosse et Caïn dit : "C'est bien !"
65 Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
L'œil était dans la tombe et regardait Caïn.
Analyse
À la lumière de son titre, on comprend la place que le poème a dans le recueil.
La lecture du passage de la Bible qui est la source du poème permet d'expliquer le meurtre de Caïn mais on peut se demander pourquoi son offrande n'a pas été acceptée. On constate aussi que, pour différentes raisons, le poète a pris des libertés.
On peut diviser le poème en différentes parties qui marquent la progression dramatique du récit.
Victor Hugo a choisi le décor évoqué dans les vers 1 à 12 pour suggérer l’effroi auquel Caïn est en proie
On remarque la valeur expressive des allitérations en «v» et en «f» des vers 1et 3, de l'allitération en «l » du vers 2.
« Sombre » dans «l'homme sombre » indique à la fois l’apparence et le caractère du personnage.
On remarque la valeur expressive des enjambements du vers 4 au vers 5, du vers 6 au vers 7.
Par de nombreux détails, lla tribu de Caïn est peinte comme un groupe d'hommes sauvages et primitifs.
Il est significatif qu’au vers 8 Hugo indique que Caïn «songeait» avant de voir l'œil.
L’hypallage «cieux funèbres» accentue encore la correspondance entre le personnage et le paysage.
L'idée de l'œil qui a donné son premier titre au poème est tout à fait justifiée.
On remarque la valeur expressive du rythme des vers 10-11.
La constatation de Caïn au vers 12 est surprenante.
On remarque l'impression créée aux vers 15 à 19 et les effets utilisés pour y parvenir.
Le rythme des vers 16, 17,18, 19, a une valeur expressive.
Un grand éloignement dans le temps et dans l'espace est obtenu par la périphrase qui aboutit à mention d’«Assur », première civilisation de l'humanité.
Différentes protections sont utilisées, la différence entre la première et les suivantes étant significative.
Avec «noir frisson», on a une autre intéressante hypallage.
Devant «aïeul farouche», on peut se demander pourquoi Hugo a fait de Caïn un vieillard.
Il faut noter l’antithèse de «muraille flottante».
La sonorité du nom de Tsilla et la couleur de ses cheveux ne sont pas indifférentes.
Le «mur de bronze» serait mieux attribué à un autre fils de Caïn.
En constatant que «terrible» a bien ici son sens premier, on est sensible à l'expressivité des paroles d'Hénoch.
Dans la «ville surhumaine» et, plus loin, la «ville d'enfer», le renforcement d'étape en étape des moyens de défense, le développement de l'agressivité, on pourraient voir l'annonce de l’essor de la technique qui a fait perdre aux êtres humains leur véritable nature.
Cette
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