Sociologie Éducation
Mémoires Gratuits : Sociologie Éducation. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoireséternellement en quête d’une incarnation provisoire pour assurer une trace significative de soi. Pour faire enfin corps à son existence, on multiplie les signes corporels de manière visible. Il faut se mettre hors de soi pour devenir soi. L’intériorité se résout en un effort d’extériorité. Multiplication des mises en scènes de soi pour sursignifier sa présence au monde, tâche impossible qui exige sans arrêt de remettre le corps sur le métier dans une course sans fin pour adhérer à soi, à une identité éphémère mais essentielle pour soi et pour un moment de l’ambiance sociale1.Le soupçon sur la forme du corps est aussi présent dans la formidable vogue de la chirurgie esthétique touchant désormais des populations de plus en plus jeunes, surtout des femmes, mécontentes de leurs seins ou d’autres parties de leur corps. L’anatomie n’est plus le destin évoqué autrefois par Freud, elle est désormais un accessoire de la présence, une instance remaniable, toujours révocable. L’ancienne sacralité du corps est caduque, il n’est plus la souche identitaire inflexible d’une histoire personnelle, mais une forme à remettre inlassablement au goût du jour. L’engouement pour le culturisme est bien révélateur également de ce sentiment d’insuffisance d’un corps dont la seule dignité ne tient qu’à sa transformation par la technique. Le body builder se dit lui même « bâtisseur de corps ». Il ne se forge pas ses muscles pour s’engager comme bûcheron dans le grand nord canadien, sa force ne lui sert à rien, il est même souvent incroyablement fragile au plan anatomique ou physiologique, mais seul importe ici le fait de se montrer. L’ampleur culturelle des modifications corporelles dit bien également cette volonté de signer son corps, de se l’approprier pour devenir enfin soi.Le corps du transsexuel est un artefact technologique, une construction chirurgicale et hormonale, un façonnement plastique appuyé sur une volonté ferme. Joueur de son existence, le transsexuel entend revêtir pour un moment une apparence sexuelle conforme à son sentiment personnel. Son sexe d’élection est le fait de sa décision propre et non d’un destin anatomique, il vit à travers une volonté délibérée de provocation ou de jeu. Le transsexuel supprime les aspects trop significatifs de son ancienne corporéité pour aborder les signes sans équivoque de sa nouvelle apparence. Il se façonne au quotidien un corps toujours inachevé, toujours à conquérir grâce aux hormones et aux cosmétiques, grâce aux vêtements et au style de la présence. Féminité et masculinité, loin d’être l’évidence du rapport au monde, sont l’objet d’une production permanente par un usage approprié des signes, d’une redéfinition de soi, conformément au design corporel, ils deviennent un vaste champ d’expérimentation. La catégorie sexuelle du masculin est profondément remise en question. Volonté de conjurer la séparation, de ne plus faire du sexe (du latin secare : couper) ni un corps ni un destin mais une décision, et surtout de s’en affranchir pour s’inventer et se mettre soi-même au monde. Le transsexuel est un symbole presque caricatural du sentiment que le corps est une forme à transformer.Nombre de démarches de la technoscience poussent le soupçon à son terme et envisagent le corps à la manière d’une esquisse à corriger ou même à éliminer de fond en comble à cause de son imperfection. Le fantasme d’un corps libéré de ses anciennes pesanteurs naturelles aboutit notamment au mythe de l’enfant parfait, fabriqué médicalement et estampillé de bonne qualité morphologique et génétique. L’assistance médicale à la procréation induit une conception de l’enfant hors corps, hors sexualité, hors rapport à autrui. Certains biologistes rêvent même d’éliminer la femme d’un bout à l’autre de la gestation grâce à la couveuse artificielle. L’existence anténatale ne serait plus qu’un parcours médical où la femme n’est plus nécessaire. La fabrication médicale de l’enfant se prolonge aujourd’hui avec une série d’examens vérifiant sa qualité génétique ou son apparence physique. Examen d’entrée dans la vie qui perpétue le soupçon à l’encontre d’un corps dont la seule perfection résulte d’une vérification de qualité ou d’une correction technique.Le corps est clairement surnuméraire pour certains courants de la cyberculture appelant de leurs vœux l’émergence prochaine d’une humanité (que certains appellent déjà une posthumanité) enfin parvenue à se défaire de toutes ses entraves dont la plus cuisante serait le fardeau du corps. Transformé en artefact, voire même en « viande » beaucoup rêvent tout haut de s’en débarrasser pour accéder enfin à une humanité glorieuse. Ces nouveaux gnostiques dissocient le sujet de sa chair périssable et veulent l’immatérialiser au bénéfice de l’esprit, seule composante digne d’intérêt à leurs yeux. La navigation sur le Net ou l’immersion dans la réalité virtuelle donnent aux internautes le sentiment d’être rivé à un corps encombrant et inutile, qu’il faut nourrir, soigner, entretenir, etc., alors que la vie serait si heureuse sans ces tracas. La communication sans corps et sans visage du réseau favorise les identités multiples, la fragmentation du sujet engagé dans une série de rencontres virtuelles pour lesquelles il endosse à chaque fois un nom différent, voire même un âge, un sexe, une profession choisis selon les circonstances. Le corps devient une donnée facultative. La cyberculture est souvent décrite en termes religieux par ses adeptes comme un monde merveilleux ouvert aux « mutants » qui inventent un nouvel univers. Ce paradis du Net est nécessairement sans corps. Les jeux innombrables sur les identités ne sont possibles que grâce à la disparition du visage. Internet est une formidable institution du masque. Dissimulé sous une identité provisoire et réversible l’internaute ne craint plus de se regarder en face après une action quelconque. Nul ne sait qu’il est un chien. La cybersexualité réalise pleinement cet im-aginaire de la disparition du corps, et même de l’autre. Le texte se substitue au sexe, l’écran à la chair. L’érotisme atteint le stade suprême de l’hygiène avec le corps virtuel. Plus de crainte de sida ou de maladies sexuellement transmissibles, ni de harcèlement dans cette sexualité angélique où il est même possible, du fait de l’anonymat du Net, de revêtir sexe et état civil de son choix2.Les communautés virtuelles sont bien une « société des esprits3 » dans une autre version que celle rêvée par Minsky. La chair du monde ou le contenu des choses se transforment en kit d’informations. Dès lors, la frontière entre les mondes, les objets et les hommes s’effacent, tout devient commutable en puissance puisque tout est régi en dernière instance par les mêmes unités de base. Mais la confusion est parfois mortelle. Certains individus ne font plus la différence entre le virtuel et le réel comme ces enfants qui tuent une commerçante, mais voulaient seulement tirer et non provoquer la mort. Ces brouillages sont courants. Le fait de vivre dans un monde sans entraves où les morts se relèvent et où les sauts dans le vide ne font aucun mal risque d’amener à l’oubli des conséquences réelles de l’action concrète.La réification de l’homme entraîne logiquement l’humanisation de l’ordinateur avec un renversement radical de valeur. Tout ce qui éloigne l’homme de la machine est perçu comme une insupportable indignité de l’homme. Mais tout ce qui rapproche par métaphore ou comparaison la machine de l’homme est aussitôt porté à son crédit avec la conviction que l’homme est désormais dépassé et que ses jours sont comptés. Le rejet de la condition humaine pour solde de tout compte dans l’auto-dénigrement de ceux qui le formulent se fait à travers le procès de la chair : l’homme est une créature physiquement trop imparfaite pour les impératifs de rendement, d’efficacité, etc. qui régissent une part de nos sociétés contemporaines. Le puritanisme s’allie ici au souci de la performance. Il ne s’agit jamais d’améliorer le goût de vivre des hommes, mais toujours de l’argument d’autorité de la pauvreté de l’enracinement corporel de l’homme dans un monde de compétition, de vitesse, de communication, qui est aujourd’hui largement le nôtre. Dans l’oubli, bien entendu, des quatre cinquièmes de l’humanité dont la survie ne soulève pas une once d’interrogation, ils sont définitivement hors-jeu. L’occidentalo-centrisme du point de vue n’est pas perçu par ces hommes fascinés par la techno-science et pour qui le monde commence et finit avec leur seule vision du monde.Pour nombre d’adeptes de l’Intel-ligence Artificielle, la machine sera sans doute un jour pensante et sensible, supplantant l’homme dans la plupart de ses tâches. Si la machine s’humanise, l’homme se mécanise. La cyborgisation progressive de l’humain, surtout dans ses promesses d’avenir, brouille encore les frontières. Des chercheurs disent leur rêve de transférer un jour leur « esprit » dans l’ordinateur afin de vivre pleinement le cyberspace. Le corps n’est plus à leurs yeux à la hauteur des capacités requises à l’ère de l’information, il est lent, fragile, incapable de mémoire, etc., il convient de s’en débarrasser en se forgeant un corps bionique (c’est-à-dire largement ou entièrement cyborgisé) auquel on grefferait éventuellement une disquette contenant l’« esprit ». Il s’agit non seulement de satisfaire aux exigences de la cyberculture ou de la communication, mais simultanément de supprimer la maladie, la mort, et toutes les entraves
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